Petit point sociologique sur la prise en charge médicale des femmes

La catégorie de la société à laquelle nous appartenons influence grandement l’image que les autres ont de nous. Chaque catégorie doit lutter contre les stigmates qui lui sont socialement associés. En d’autres termes :  les préjugés qui lui collent à la peau. On a grandi entouré de ces préjugés qu’on a entendu 1001 fois et qui nous sont rentrés dans le crâne de manière plus ou moins subtile : « les chômeurs sont des branleurs », « les femmes musulmanes des soumises », « les lesbiennes des mal baisées », « les femmes sont des chochottes ». Vous avez compris l’idée.
Souvent inconscients, il est dur de réaliser que nous sommes imprégnés de ces images. Dur tout d’abord parce que la société nous martèle encore et encore ces préjugés : dans les films, à l’école, aux infos et ce du berceau au cercueil. Dur aussi parce qu’il est parfois difficile d’admettre que nous sommes tous plus ou moins les acteur-trices de la diffusion de ces idées, et que lutter contre elles, demande un travail permanent sur soi et sur le monde qui nous entoure. Je suis féministe, sociologue du genre et il m’arrive encore et toujours de sortir des énormités misogynes dans ma tête ou à voix haute …comme ça instinctivement. BREF ! Rien n’est jamais gagné.
Les médecins ne font pas figure d’exception. Leur attitude, leur diagnostic, la prise en compte de la parole du/de la patient-e dépendent eux aussi de tous ces préjugés énoncés plus haut. Je vais me concentrer dans cet article sur le sexisme du monde médical et l’influence que celui-ci peut avoir sur le retard de diagnostic des patientes (endométriosiques ou pas).

L’erreur de diagnostic/l’errance médicale : La fautes aux stéréotypes de genre ?

Notre société a tendance à nous essentialiser en fonction de notre position sociale. Essentialiser c’est quoi ? C’est prêter des caractéristiques à un groupe social en les présentant comme « naturels », « innés ». Par exemple : « Tu es une femme donc tu es née douce et naturellement douée avec les enfants. », « Tu es un homme donc tu es né infidèle et incapable de contrôler ton chibre. »
La sociologie mais aussi d’autres sciences humaines et sociales (et de plus en plus de sciences dites « dures » ! ), nous l’ont montré : l’inné prend une place beaucoup plus petite qu’on ne le pensait sur les comportements humains. Non, nos hormones ne nous dictent pas tous nos comportements. Non, on ne naît pas avec le sens de l’orientation quand on est assigné garçon. Non, nous ne naissons pas avec la capacité de faire plusieurs choses à la fois quand on est assigné femme. (Je vous invite à lire les bouquins de la neurobiologiste Catherine Vidal) Non, les caractéristiques que l’on associe aux femmes et aux hommes n’ont pas toujours été les mêmes à travers les époques et les sociétés. Non, la distinction médicale entre mâle et femelle n’est pas si simple (Vous pouvez jeter un œil à ce que dit Weils en génétique ou Kraus en biométrie). Non, l’acquis et l’inné ne s’opposent pas. Ils s’entremêlent sans arrêt et s’influencent tout comme les sciences dites dures et les sciences dites molles. Bref il est nécessaire de regarder les pratiques médicales avec un œil sociologique.

Malheureusement il perdure l’idée que nos différences (et notamment les discriminations que l’on subit) viennent de notre nature. Pourtant les codes sociaux associés à la féminité et à la masculinité influencent le rapport au corps du côté du/de la patient-e. Ils influencent aussi le diagnostic du côté du/de la soignant-e. Ainsi les douleurs des femmes seront moins souvent prises au sérieux, par elles même, mais aussi par les médecins car elles sont perçues comme plus sensibles, supportant moins la douleur. Que voulez-vous ?  C’est dans notre nature paraît-il.
Aujourd’hui nous le savons, certaines maladies sont sous diagnostiquées et certaines femmes peuvent être mise en danger à cause des stéréotypes de genres qui sont véhiculés. En voici quelques exemples:

Les symptômes de l’infarctus peuvent être différents chez un homme cisgenre et une femmes cisgenre. On connaît bien les douleurs dans la poitrine…on connaît moins en revanche le fait qu’un infarctus se manifeste parfois par des nausées et des vomissements chez les femmes. De même, une femme se présentant aux urgences pour un infarctus va avoir tendance à être diagnostiquée comme étant angoissée et déprimée et donc renvoyée chez elle. tu le vois le beau stéréotype de l’hystéro. Plusieurs études, dans plusieurs pays, ont montré que les femmes qui viennent se faire soigner pour un problème cardiovasculaire seront soignées moins vite que les hommes et le samu arrivera plus lentement chez elles.

Certaines pathologies associées au masculin sont aussi souvent niées lorsqu’il s’agit d’une femme : l’alcoolisme féminin est souvent peu diagnostiqué. Beaucoup de professionnel-le-s de la santé sont aveuglés par l’image sociale et culturelle qui se dégage de la consommation d’alcool chez une femme. Il demeure encore aujourd’hui l’idée que les femmes boivent moins et des alcools moins forts. Ainsi la prise en charge des femmes alcooliques est moins fréquente. Lorsque qu’il y a une prise en charge, les professionnel-le-s de la santé renvoient directement les femmes à leurs problèmes psychologiques et à la douleur qu’elles font subir à leur famille. Leur consommation est vue comme une transgression à l’idéal de féminité. L’alcoolisme des hommes est plus systématiquement associé à leur origine socioéconomique et est vue comme un facteur de cohésion sociale et de virilité. Ainsi la prise en charge de l’alcoolisme féminin est plus souvent teinté de culpabilisation et les renvoie à leur rôle dans la famille.

Ces stéréotypes peuvent aussi entraîner un retard de diagnostic chez les hommes : l’ostéoporose est perçue comme une maladie de femmes. Ainsi les examens sont beaucoup moins prescrits aux hommes en cas de fracture et la maladie est traitée beaucoup plus tard.


Et l’endométriose dans tout ça ?

Bon vous devez vous dire : « Elle va loin celle-là, elle n’est pas censée nous parler d’endométriose ? »
Aujourd’hui l’endométriose connaît un retard énorme de diagnostic (entre 6 à 10 ans selon les études). Comment une maladie connue depuis des décennies et touchant des millions de femmes peut elle être, encore aujourd’hui, tue voire niée par certains médecins ? Toi aussi tu as croisé Jean-Michel Généraliste ou Jean-Jacques Gyneco qui ne croient pas à l’endométriose ? Je vais me mettre à dire que le cancer de la prostate est un mythe, une maladie à la mode, on va voir si ça passe aussi bien Comment des femmes peuvent elles se retrouver tous les mois ou plus à vomir, s’évanouir, aller aux urgences et repartir sans diagnostic ? Comment ne pas y voir un lien avec le manque de formation des soignant-e-s et le manque de recherche et de prise en charge en ce qui concerne les maladies dites féminines ?
C’est ce que la sociologue Nicole-Claude Mathieu appelait « l’androcentrisme des sciences »  : c’est-à-dire comment les femmes sont invisibilisées par la mise en place d’un modèle général créé par et pour les hommes. Ce modèle se présente comme universaliste alors qu’il ne concerne qu’une partie de la population (comme souvent dans notre société d’ailleurs ce qui est perçu comme masculin est perçu comme plus neutre). Cet androcentrisme des sciences a aussi pour particularité de renvoyer les femmes à leur nature et les hommes au monde social. Bref il nie que nous sommes nous aussi des actrices de cette société. Ainsi la médecine ne fait pas figure d’exception : le diagnostic et la prise en charge sont imprégnés de cet androcentrisme. “Femme tu dois souffrir c’est dans ta nature !”, “lendométriquoi? ah oui on m’en a parlé 2 min à la fac mais bon y'a des choses plus importantes à apprendre”.

La féminisation croissante des personnels soignants ces dernières années n’y change rien. Aujourd’hui les inégalité femmes-hommes en santé (ainsi que les violences faites aux femmes) ne sont que très très rarement abordées dans les programmes. Pourtant avoir conscience de ces stéréotypes ne peut qu’entrainer une meilleure prise en charge des patientes. La recherche ne fait pas figure d’exception puisqu’en moyenne il n’y a que 33% de femmes dans les essais cliniques et la recherche. Ainsi les femmes restent les grandes absentes de l'apprentissage et de la recherche en médecine. Pas étonnant que lorsque des patientes atteintes d'une même maladie se regroupent pour faire un peu bouger tout ce bordel, ça ne plaise pas spécifiquement à tout le monde.
De plus, certaines spécialités restent largement exercées par des hommes comme notamment la gynécologie qui connaît d’ailleurs depuis les années 80 une très forte baisse de spécialistes créant ainsi un manque flagrant de médecins. Manque de spécialistes qui pose largement problème. Cette pénurie de médecin entraîne pour les femmes (et notamment les plus isolées géographiquement et/ou précaires) un plus grand risque de mauvaise prise en charge et un choix restreint de practicien-ne-s. Et quand on sait la difficulté de se faire diagnostiquer par quelqu’un qui connaît notre maladie ...et ben ce n’est pas rien !
Le problème de diagnostic autour de l’endométriose n’est donc pas dû à un hasard. Il s’ancre dans un contexte d’apprentissage et de pratique de la médecine misogyne fait par et pour les hommes. Ce contexte a de graves conséquences sur la santé des femmes : errance médicale, erreur de diagnostic, maltraitances médicales. 
Aujourd'hui les médecins doivent faire avec internet et ce que cela engendre. Ainsi les communautés de patient-e-s font désormais partie de l'équation et peuvent avoir une influence sur la prise en charge d'une maladie. En espérant que cette maigre importance que nous prenons puisse un jour changer les choses.
 
Parhelie

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