Sois sage, ô ma Douleur, et tiens-toi plus tranquille Partie 1


 
Je voulais aborder le sujet des douleurs chroniques depuis longtemps ici mais je repoussais toujours l’écriture de cet article.  Trop complexes, trop subjectives, trop dures à décrire et pourtant si présentes dans mon quotidien et dans celui de milliers de personnes. Pourquoi parler de la douleur ? Parce que je pense que c’est ce qui nous vaut, nous malades chroniques, le plus d’incompréhension dans notre quotidien. Dans notre couple, notre famille, nos amis, au boulot, chez le médecin : qui n’a jamais eu cette sensation qu’on nous traiter à demi-mot (ou pas) de douillet ou douillette ?
Depuis que la douleur chronique fait partie de ma vie, j'ai envie de l'expliquer en long en large et en travers aux personnes qui ne connaissent pas ça. En espérant que cela vous parle au moins un peu ...
 
Avoir des douleurs chroniques, c'est un caillou dans ta chaussure, une poussière dans ton œil, une écharde dans ton pouce et un petit orteil contre un meuble ! Oui tout ça à la fois. Parfois c'est un coup de couteau, une descente de grand 8. Parfois c'est une douleur fourbe et insidieuse qui s’installe lentement :  une vague qui monte, monte et monte tout doucement.

Avoir mal, c’est finir par fonctionner avec la douleur. Oui car nous, malades chroniques, on est comme tout le monde : on peut faire des enfants, avoir un boulot ou des rdv à la banque et on doit bien se lever le matin malgré tout. Alors on se met de côté. L’esprit sur la matière. JE contrôle mon corps et JE décide que je dois mettre cette douleur de côté . Je me mets de côté car le monde autour n’attend pas.



Avoir mal, c’est se sentir comme un fardeau pour ceux qui partagent nos vies, d’autant plus ceux qui partagent nos lits. C’est avoir l’impression qu’on mérite pas tout cet amour et cette attention, cette patience.  C’est avoir l’impression qu’on est qu’un poids, qu’ils ou elles méritent mieux. 


Avoir mal, c’est faire face à la lassitude des proches. Atteindre les limites de l’empathie des gens. La douleur elle aime bien bouffer tes relations sociales.

Arrive aussi la suspicion : « mais au final elle simule pas un peu celle-là ? » Ça peut se manifester de plein de manière : un groupe d’amis qui en a marre de ne pas te voir, quelqu’un qui te soupçonne de manipuler ton conjoint avec tes douleurs (true story), tes collègues qui se foutent de la gueule de tes arrêts maladie, ton mec qui pense que tu fais exprès pour pas faire l’amour et j’en passe. Avoir mal c’est faire face à la déception, la colère, le sentiment d’injustice que ces situations engendrent.



Avoir mal, c’est recevoir ces remarques qui nous donne l’impression qu’on a une mauvaise gestion de notre maladie : « Tu as essayé de manger des cornichons trois fois par jour ? ça calme les douleurs », « Moi ma tante depuis qu’elle fais du yoga elle est guérie ». Ça nous renvoie ce message qui veut dire pour nous : « tu es sûre que tu fais vraiment tout tout tout pour aller mieux ? » voire pire « Ta maladie n’est pas si grave, ça se règle avec 3 fois rien ». C'est avoir l'impression qu'on remet sans arrêt en question ton ressenti, ta légitimité.



Avoir mal, c’est ne plus se faire confiance. Ne plus différencier une petite douleur d’une grosse. Ne plus être quelqu’un de fiable pour les autres. C’est ne plus s’accorder de plaisir, avoir peur d’organiser à l’avance et à la fois tout anticiper pour ne pas se retrouver en détresse dans un lieu embarrassant. 


Avoir mal tout le temps, c’est perdre la tête. Ma douleur elle m’a tué à petit feu. Elle m’a rendu moins patiente, plus irritable, plus sensible. Elle m’a empêché de dormir, de me concentrer, de travailler, d’avoir des loisirs. Elle m’a dépossédé de moi-même. Elle m’a donné l’impression que mon corps était un ennemi. Elle m’a donné envie de le négliger.  Avoir mal c'est perdre espoir et se dire au premier degrés « mais en fait le seul moyen de me soulager là c’est la mort ! »

Avoir mal c’est aussi ne rien dire. C’est apprendre à faire ce sourire de façade, à souffrir en silence en serrant la mâchoire et en me contorsionnant pour trouver la position qui fait la moins mal.  Parfois ça m’a fait me sentir forte mais souvent ça m’a surtout fait me sentir seule. 
Car ouais avoir mal, c’est être seule. Être seule en présence de ses proches car ils peuvent essayer de comprendre mais ne vivent pas et ne vivront jamais ce que je vis. C’est avoir envie de crier, de râler, de souffler mais se retenir pour ne pas irriter. C'est ce moment où tu voudrais redevenir un enfant pour qu'il soit acceptable de t'assoir par terre de de pleurer devant tout le monde. Avoir mal c’est ne pas savoir décrire l’indescriptible et pourtant vouloir à chaque instant mettre des mots dessus. 

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